Dans un premier temps, lors de formations sur ce thème, les participants confondent « différenciation » – « diversification » – « remédiation » et « individualisation »… Plus que des mots, ces concepts reposent sur des réalités différentes. Ensuite, lorsque le sens se clarifie, les enseignants expriment un besoin d’exemples
Qu’est-ce que la différenciation ? Je dévoile…
Depuis plus de 20 ans, la définition de ce concept flou évolue. Je m’appuye sur Jacqueline
Caron1 et d’autres2 pour vous en proposer une qui synthétise la pensée de collègues et moi-même3 :
« La différenciation est une recherche de cohérence et d’adéquation entre l’apprentissage de chaque élève et l’évaluation formative des enseignants. Cette dynamique – liée à la responsabilité de la profession – repose sur deux dimensions : éthique et méthodologique.»
Il s’agit donc autant d’un état d’esprit que d’un ensemble d’outils pédagogiques propices au
développement optimal de chaque personne. La difficulté réside donc à ne pas s’enfermer soit
dans une vision purement philosophique, soit dans une vision techniciste.
La plupart d’entre nous, enseignants de bonne volonté, avons été formés dans une logique
d’uniformisation. Le programme, identique pour tous, ainsi que les objectifs opérationnels « A
la fin de la leçon, 80% des enfants seront capables de… » conduisent la pensée et l’action de
l’école vers une standardisation et les amènent à combattre les différences…
Aujourd’hui, les missions de l’école ont changé et il s’agit de former, instruire et éduquer un
maximum d’élèves… En Communauté Française de Belgique, voici les deux premières missions inscrites dans la loi pour tous les enseignants :
1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;
2° amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les
rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique,
sociale et culturelle;
3°… et 4°
Il s’agit donc d’une révolution culturelle… à construire en douceur… PARADOXE !!!
Et si on supprimait les confusions ? Je détricote…
Particularité | Lien avec les autres concepts | |
Différenciation |
Ce concept n’est pas encore stabilisé. Il se définit par une dimension éthique et méthodologique. Plusieurs auteurs utilisent les termes de « état d’esprit », « philosophie », « projet d’émancipation » |
Il les englobe tous… Pour réaliser une pédagogie différenciée, les autres sont des outils méthodologiques à son service… |
Diversification |
Certains auteurs proposent les termes « différencié, varié, diversifié » avec des nuances entre eux… Cependant, il s’agit principalement d’être capable de modifier son action pédagogique par des situations, consignes, groupements, démarches… diverses ! Avez-vous beaucoup d’outils dans votre boîte méthodologique ??? |
Il est impossible de s’en passer pour différencier. En effet, si un enfant est bloqué dans un travail individuel, il est intéressant de lui proposer un travail en duo ou en groupe… L’enseignant diversifie son type de groupement… Il en va de même dans l’équilibre d’une leçon, d’une journée, de … Les enseignants eux-mêmes apprécient la diversification dans une journée de formation |
Remédiation |
A l’origine, c’est presque le synonyme de différenciation. Il s’agissait de créer un dispositif pour remettre l’enfant à flot afin qu’il puisse ensuite suivre à nouveau le programme… Il va à « l’hôpital »… Souvent, c’est une heure ou deux qui sont organisées à cet effet… |
Il est toujours utile de prévoir dans un programme des temps de remédiation. En effet, certains enfants en apprentissage ont besoin de moments privilégiés et en petits groupes pour apprendre… Cependant, la différenciation réduit en principe les besoins de remédiations des apprenants… |
Individualisation |
A l’origne, on peut penser au préceptorat. C’est une pratique qui laisse croire que si on s’occupe d’un enfant à la fois, il sera mieux suivi et il apprendra mieux ! Rien n’est moins sûr ! |
L’individualisation reste un moyen important pour favoriser l’apprentissage de tous… En effet, il est utile pour les introvertis (et pour les autres) de se concentrer individuellement sur une tâche avant un travail de groupe. Ou encore, il est indispensable, lorsqu’on a terminé une tâche, de favoriser la mise en mémoire en demandant à chacun d’écrire individuellement ce qui reste dans sa tête, ou les infos importantes… |
Vous voulez quelques exemples concrets ? Je propose…
Tous ces exemples reposent (entre autres) sur la définition et sur deux principes inéluctables :
- Arrêter de confondre « enseigner » et « apprendre » !
- Ne plus enfermer les enfants dans ses propres connaissances car ils sont nés à une autre époque que la nôtre !
Il s’agit alors de pour chaque enseignant de prendre distance avec le programme (souvent trop important) et de laisser de la place à l’expression de chacun…
Pour être plus concret encore, j’aborderai 3 moments didactiques :
Le début de leçon :
Actions | Motivations |
Annoncer le sujet de la leçon et la compétence à développer |
Certains enfants ne se mobilisent que s’ils connaissent le but. De plus, beaucoup confondent « tâche » et « objectif ». Ils font ce qu’on leur demande mais ne comprennent pas pourquoi et ne mettent que très peu dééléments en mémoire… |
Toujours écrire les consignes au tableau sur une affiche… |
Pourquoi tous les cerveaux s’arrêteraient-ils en même temps pour vous écouter ? De plus, cela favorise l’autonomie des élèves qui demandent toujours de répéter. |
Laisser le temps de la découverte du matériel et de la consigne, permettre de poser des questions (Même si on n’y répond pas explicitement) |
Certains enfants sont introvertis et ont besoin qu’on leur laisse du temps avant de s’engager dans une tâche. Un espace de parole permet aussi de se rassurer. |
Dans un cahier que l’on peut intituler « recueil de réflexions », faire exprimer le déjà-là ou les hypothèses sur le contenu |
L’activation des connaissances antérieures ou l’expression de son questionnement favorise pour chaque apprenant la mise en pensée mais permet aussi à l’enseignant d’évaluer les besoins et les ressources de ses élèves. |
Ce ne sont évidemment que quelques exemples… qui ne prennent sens que si on poursuit la réflexion sur la période suivante.
Durant la leçon
Actions | Motivations |
Dire ce qui est correct pour y puiser du positif et continuer à investir. |
Toujours montrer les réussites pour favoriser la construction d’une image positive de soi mais également pour que l’apprenant transfère les éléments porteurs dans les autres tâches. |
Apporter des exemples ou des contre-exemples |
Les enfants se trouvent parfois perdus. Il est utile de prévoir, à disposition de celui qui en a besoin des outils de relances : Des exemples pour les enfants qui sont plus « généralisants » et des contre-exemples pour les cerveaux « discriminants ». |
Apporter un élément qui appartient aux compétences sollicitées. |
Souvent dans une leçon, des enfants rencontrent un problème avec un pré-requis… Pourquoi ne pas leur donner l’information puisque ce n’est pas l’objet de la leçon ? |
Prévoir des relances pour les « plus forts ». par exemple en leur demandant de préparer des situations semblables ou de nouvelles situations |
Trop souvent, on a tendance à croire que la différenciation existe pour les plus faibles. NON, il s’agit d’adapter son action à tous, non pas pour réduire les écarts, mais pour « nourrir » chacun. |
A nouveau, ce ne sont évidemment que quelques exemples… qui ne prennent sens que si on poursuit la réflexion sur la période suivante.
A la fin de la leçon :
Actions | Motivations |
Regarder l’évolution de l’élève plutôt que le produit, le résultat… |
L’école sert-elle à reconnaître les plus forts et à les féliciter ou à développer les compétences de chacun ? De plus, est-ce normal d’être jugé de la même façon que les autres si j’ai un « handicap » ou un « avantage » ? |
Ecrire (dessiner, représenter…) quelque chose de nouveau qu’il a appris ou ce qui a été confirmé… par l’activité ou encore répondre aux questions ou aux hypothèses qu’il avait formulées au début. |
Il s’agit de mettre en oeuvre une dynamique d’évaluation formative qui permet à l’apprenant de prendre conscience de l’écart entre le début et la fin. On développe par conséquence de la motivation intrinsèque. |
Prévoir une séance d’entraînement pour les plus avancés et un tableau pour s’inscrire à une remédiation ou à une nouvelle séance d’apprentissage… |
Inclure chaque leçon dans une séquence est essentiel. L’apprenant doit savoir qu’il y aura plusieurs leçons autour de la compétence et qu’il sera prévu des actions particulières pour tous : gazelles, boeufs, éléphants… |
Si vous voulez aller plus loin que le bout de votre … ? Je rigole…
Après cette petite introduction, je vous conseille de vous documenter comme moi en lisant quelques ouvrages de qualité :
- Caron, J. (2003). Apprivoiser les différences, guide sur la différenciation des apprentissages et la gestion des
- cycles. Montréal, Les Editions de la Chenelière, Erasme,
- Guillaume, L. & Manil, J-Fr. (2006). De la remédiation à la différenciation. La rage de faire apprendre… Paris,
- Jourdan Editeur.
- Hoeben, S.& Leroy, P.-M., (2020). Je différencie pour tenir compte des différences. Sambreville, Editions Atzéo.
(A paraître en septembre)
- Perrenoud, Ph. (1995). La pédagogie à l’école des différences. Fragments d’une sociologie de l’échec. Paris, ESF
- Przesmycki, H. (1991). Pédagogie différenciée. Paris. Hachette.
- Stordeur, J. (1996). Enseigner et/ou apprendre. Bruxelles, De Boeck.
- Zakhartchouk, J-M. (2001). Au risque de la pédagogie différenciée. Paris, INRP.
Ah oui, j’oubliais… La différenciation nécessite une bonne dose d’humour, d’humilité et d’humanité… Riez, admirez et communiquez avec les êtres humains qui vous sont confiés ! Vous serez alors sans doute un prof dont ils se souviendront !