Si je me différencie de mes collègues,
ce serait « normal » que les élèves se différencient aussi…
Dans un article publié il y a quelques années, je concluais une réflexion sur la différenciation par ces quelques questions provocatrices :
- Si chaque prof aime être reconnu dans son génie propre, pourquoi pas ses élèves ?
- Si chaque prof a des représentations différentes de sa matière, pourquoi pas ses élèves ?
- Si chaque prof prépare à sa manière, pourquoi ses élèves n’exploreraient-ils pas les savoirs
par des chemins différents ?
- Si chaque prof apprend son nouveau programme à son rythme, pourquoi pas ses élèves ?
- Si chaque prof revendique le droit à la différence, pourquoi pas ses élèves ?
Certes la liste de ce questionnement « impertinent » aurait pu être plus longue mais il me semble pertinent de limiter les propos et de développer ces « provocations ».
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Si chaque « prof » aime être reconnu dans son génie propre, pourquoi pas ses élèves ?
Dans les écoles où je passe, un certain nombre de professeurs brillent par un talent, une qualité personnelle qu’ils développent, une performance professionnelle qu’aucun de leurs collègues possède ! Chacun peut être reconnu pour cette compétence particulière, laquelle deviendra une ressource pour la communauté. En est-il de même pour les élèves ou les ados qui peuplent la classe ? Sachons reconnaître l’autre ailleurs qu’à travers les talents langagiers ou logico-mathématiques…
J’aimerais, par exemple, que, chaque semaine, un temps de la classe soit consacré aux passions –réalisées ou non– pour lesquelles les enfants dégagent une motivation importante !
A quoi ressemblerait la classe si chaque prof se donnait le défi quotidien de rechercher au cœur de chaque enfant son génie propre, cette étincelle qui le fait – ou pourrait le faire – briller au sein du groupe?
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Si chaque « prof » a des représentations différentes de sa matière, pourquoi pas ses élèves ?
Demandez à un groupe d’enseignants quels contenus–matières ils privilégient au sein de leur classe. Leurs propositions seront différentes car leurs connaissances et leurs représentations de la matière varient selon leur expérience… et leurs goûts personnels!
S’ils vous donnent des exemples par écrit ou oralement, vous vous apercevez vite de cette diversité. C’est vrai pour les exemples, les contre-exemples, les règles, les procédures… et même les concepts ! Si l’idée est proche, les mots pour l’exprimer sont personnels. En effet, les savoirs sont des construits individuels et contextuels.
Si c’est le cas pour nous autres, les enseignants, qu’en est-il de la construction mentale de nos élèves ? Comment peut-on exiger de leur part la même réponse au même moment sans aucun souci de leurs représentations ? Pourquoi ne pas les inviter à partager leurs savoirs et à les comparer ensuite ? Ils pourraient ainsi passer d’une perception limitée des savoirs à une connaissance structurée… beaucoup moins superficielle. L’important ne résiderait plus dans les exemples mais dans la compréhension.
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Si chaque « prof » prépare à sa manière, pourquoi ses élèves n’exploreraient-ils pas les savoirs par des chemins différents ?
Le propre du cerveau humain est de fonctionner à l’économie ! Un certain nombre d’habitus, déterminés par des contextes, induisent donc les comportements de chaque humain. Ainsi, beaucoup d’enseignants, sans s’en douter, préparent leur enseignement selon un modèle dominant : généralement une démarche déductive, parfois inductive, rarement analogique ou dialectique… S’il prépare à sa manière, ne devrait-il pas apprendre à se décentrer pour tenir compte des modèles dominants variés de ses étudiants ? Ces derniers ne pourraient-ils pas – selon les apprentissages – se voir offrir des démarches d’enseignement par découverte, par application, par comparaison, par discrimination, … ?
Comment une profession qui réclame du concret et de la variété pour elle-même en formation continue peut-elle en offrir de moins en moins au fur et à mesure que les enfants grandissent ?
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Si chaque « prof » apprend son nouveau programme à son rythme, pourquoi pas ses élèves ?
En effet, peut-être que chaque prof manifesterait plus d’empathie vis-à-vis des élèves,
- s’il réfléchissait à la difficulté qu’il connaît pour apprendre son nouveau programme ou de nouvelles directives pédagogiques,
- s’il prenait en compte la réalité des différences de motivation dans une équipe enseignante face aux projets, aux événements de l’école,
- s’il observait avec réalisme sa propre difficulté à accepter des savoirs différents de son déjà-là !
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Si chaque « prof » revendique le droit à la différence, pourquoi pas ses élèves ?
En effet, dans mon travail de consultant en pédagogie, j’entends souvent des enseignants qui réclament le droit de « faire la classe » comme ils veulent. « Pourquoi devrais-je agir comme mon collègue ? Pourquoi devrais-je faire comme ON me le dit ? Je suis un professionnel ! »
Sans être d’accord avec leur discours –loin de là– je me plais à poser l’interrogation suivante : « Tes élèves aussi ont le droit réel de te remettre des travaux différents ? Leur proposes-tu donc des modes de résolutions ouvertes et acceptes-tu l’inattendu pour autant qu’il correspond à l’objectif, étant entendu que l’objectif n’est pas la tâche ? Prépares-tu tes leçons en fonction des suggestions des autres pour respecter le droit que tu t’octroies ? »
En fait… Les élèves ont-ils le droit d’être vraiment différents ? Et n’est-ce pas justement notre mission de les « E-duquer », de les conduire à l’émancipation dans leurs différences respectives ?
Puisse la personnalité de nos élèves provoquer encore longtemps les paradoxes de nos enseignants et les inciter à garder les pieds sur terre, dans la réalité…
Stéphane HOEBEN
Consultant indépendant
en Education et Ressources Humaines