Pascale TOSCANI,
Docteure en psychologie cognitive, responsable du laboratoire GRENE Monde et membre du conseil scientifique de la Mission laïque française
Quels sont les liens entre les neurosciences, la pédagogie, la didactique et la psychologie ?
L’annonce de la création d’un Conseil scientifique de l’Éducation nationale a fait débat dans le monde éducatif. Le principal syndicat du primaire, rejoint par une cinquantaine de chercheurs, s’inquiétait de la prédominance des neurosciences.
Personne ne remet en cause une collaboration entre les chercheurs et les praticiens de l’éducation. D’où viennent ces craintes par conséquent ? Comment gérer cette inquiétude face à l’introduction des neurosciences à l’école, afin qu’elle ne constitue pas un obstacle à l’avancée des connaissances sur l’apprentis- sage et à la modification de nos représentations dans ce domaine ?
Naissance des neurosciences
Nous avons tendance à penser que les neurosciences et la psychologie cognitive sont nouvelles dans le monde de l’éducation, mais ce n’est pas le cas. Leur histoire est ancrée dans la pédagogie depuis plusieurs décennies.
Dans les années quatre-vingt, deux conceptions fondamentales s’opposent de manière enrichissante et nous engagent vers une première rupture épistémologique. Les travaux de Vygotski s’opposent à ceux de Piaget.
Le premier propose un modèle de développement en spirale : les enfants disposent de compétences à la naissance qui évoluent grâce à la médiation entre pairs notamment, par le biais du langage. Il est précurseur du travail coopératif. Selon son modèle, les compétences évoluent du fait de leur sollicitation par la coopération.
Piaget quant à lui, présente un modèle en escalier : l’enfant se développe par stades successifs pour atteindre son statut d’enfant épistémique vers la fin de sa deuxième décennie, c’est-à-dire présentant les compétences universelles.
Pour schématiser, Vygotski privilégie le terreau quand Piaget choisit l’arrosage. Vygotski privilégie l’inte- raction de l’enfant avec autrui ; Piaget privilégie l’interaction de l’enfant avec le monde concret. Pour ce dernier donc, le monde concret précède le monde abstrait.
Le modèle de Piaget est aujourd’hui remis en cause par les neurosciences dont les recherches ont per- mis d’observer la prospection universelle précoce ; les chercheurs ont montré que le cerveau de l’enfant dispose à sa naissance de toutes les compétences universelles, mais ses neurones doivent être connectés pour les concrétiser.
Nous perdons les deux tiers des milliards de neurones dont nous disposons à la naissance. Donc, pour devenir « intelligent », nous devons perdre les deux tiers de ces connexions afin de devenir experts du tiers restant. Un cerveau qui conserverait ces connexions ne pourrait pas réfléchir – comme dans certains types d’autisme. Perdre des neurones constitue donc la condition de l’apprentissage.
Le cerveau compile en permanence les statistiques qu’il produit en fonction des informations qu’il reçoit. Ces compilations lui permettent d’anticiper. Ces prédictions l’aident à organiser le monde interne pour interpréter le monde externe, c’est-à-dire apprendre.
L’opposition entre ces deux théories a fait évoluer la perception des pédagogues sur l’apprentissage et nous permet de mieux comprendre ce que nous observons. C’est durant les années 80 que nous avons commencé à parler d’éducabilité cognitive, et ce, chez l’adulte également. Or le fait de penser que le cerveau de l’adulte pouvait évoluer représentait une autre rupture épistémologique, qui peine encore à trouver sa place aujourd’hui. Pourtant, Jean-Pierre Changeux menait ses travaux sur la plasticité cérébrale. Son ouvrage, L’Homme neuronal, venait confirmer l’intuition de l’éducabilité cognitive.
En 2001, Alain Moal, cognitiviste, avait publié un texte dont je vous lis un extrait : « Il arrive fréquemment que, face au blocage, l’enseignant soit tenté de dresser la liste des raisons pour lesquelles l’apprenant ne comprend pas. Il peut s’agir de diagnostics incertains : “il manque de bases, il ne sait pas orga- niser son travail, il est en retard dans son développement intellectuel, il n’est pas motivé, “voire” il a atteint son maximum”. On peut également se référer à des raisons qui fournissent un remarquable argument de paresse pédagogique : “il a des problèmes sociaux, il a des problèmes psychologique”. Où est le jeu dans tout ça ? La dynamique positive de formation commence avec le jeu de l’enseignant. Quelles sont les caractéristiques de l’enfant dans lesquelles j’ai placé cet élève ? En quoi les caractéristiques de l’interaction dans laquelle j’ai placé cet élève interviennent-elles dans les blocages rencontrés ? »
Le passage du « il » ou « je » vise à amener l’enseignant à se poser des questions qui lui permettront d’avoir prise sur la relation pédagogique. Tout miser sur le « il » revient à stériliser cette relation.
Alain Moal n’est pas le seul cognitiviste à nous préparer à l’arrivée des neurosciences. Au même moment, nos connaissances sont bousculées par le progrès de la génétique et de la neurobiologie. D’autres chercheurs en sciences cognitives sont précurseurs par rapport à la question de l’apprentissage. Certains, dans les années soixante se sont posé les questions suivantes : qu’est-ce qu’apprendre ? Comment le cerveau apprend-il ? Peut-on apprendre à apprendre ? Reuven Feuerstein, psychologue roumain, père de la méthode de remédiation cognitive PEI, est l’un des premiers à proposer aux élèves un travail sur leur propre fonctionnement cognitif. Antoine de la Garanderie, philosophe de formation, l’a suivi en appuyant ses travaux sur l’introspection cognitive (métacognition) – apprendre à réfléchir à la manière dont je réfléchis.
Quelques cinquante ans plus tard, dans les années quatre-vingt, des travaux ont montré l’importance pour les élèves de comprendre leur fonctionnement cognitif. Ils ont fait l’objet de critiques acerbes. La culture de l’époque valorisait peu l’apprentissage par l’erreur. Mais peut-être devrions-nous considérer cet échec comme heureux, car notre compréhension de l’apprentissage a évolué grâce à ces méthodes. Elles ont en effet mis en lumière l’importance de la métacognition. Nous avons compris qu’il était important non seulement d’apprendre à apprendre, mais surtout d’apprendre à transférer les connaissances.
Le système éducatif n’a pas su tirer le meilleur profit de cet héritage, car la formation des enseignants ne donne guère de place aux sciences cognitives. Elle repose encore essentiellement sur la didactique et la pédagogie.
Rappelons que la didactique est attachée au contenu disciplinaire mais aussi au processus d’apprentissage qui est essentiellement lié à chacune des disciplines en question. La didactique est une réflexion sur la transmission des savoirs. Le didacticien est un spécialiste de l’enseignement de sa discipline.
La pédagogie est tournée vers l’action. Elle vise à développer des apprentissages et définit des enseignements sur le terrain dans ce but. Elle traverse les disciplines, les actions et les attitudes propres aux enseignants. Elle est orientée vers les pratiques des élèves et s’intéresse aux modes de relation entre les individus, à l’environnement et aux conditions de travail dans le processus d’apprentissage. Les pratiques didactiques et pédagogiques excluent en partie l’élève toutefois en tant que sujet apprenant. L’analyse des représentations des élèves n’est qu’une infime partie de ce que nous révèle son fonctionnement cognitif.
Aujourd’hui se développe la neurodidactique, c’est-à-dire la description d’un processus lié à l’organisation d’une connaissance. Il s’agit d’une étape importante qui nous permet de nous éloigner encore davantage de la rigidité du behaviourisme. Il serait dommage néanmoins que cette discipline reste exclusivement réservée à la pratique des enseignants. Elle doit faire partie de la formation de l’élève. Chaque cerveau présente en effet ses propres caractéristiques, façonnées par son parcours. La neurodidactique ne prendra peut-être toute sa valeur que si elle est partagée entre celui qui enseigne et celui qui apprend.
Inventaire des travaux récents sur les neurosciences orientés vers une meilleure compréhension des mécanismes de l’apprentissage
En 2017, la représentation de l’apprentissage prend le chemin d’une rupture épistémologique au niveau mondial. Les chercheurs experts dans le domaine du fonctionnement de la mémoire, du système attentionnel, de l’inhibition cognitive corroborent la thèse sui- vante : l’élève est le seul à apprendre. Depuis sa naissance, le cerveau de l’enfant capte tout ce qui parvient à sa conscience et à sa non-conscience. Il ne fait que mettre en lien des informations inconsciemment puis consciemment ensuite, c’est-à-dire apprendre, car son cerveau est déterminé dans ce but, au-delà du cadre de l’apprentissage explicite assuré par un tiers. Notre responsabilité est donc grande par rapport à ce qu’il perçoit de nous. L’environnement a une grande influence sur lui, pour le meilleur et le pire.
Ce que perçoit le cerveau de l’enfant se construit progressivement et, avec une puissante capacité d’anticipation qu’il va mettre en œuvre. C’est là l’effet de l’immense plasticité cérébrale. Toutes les expériences d’apprentissage laissent des traces neurales qui ne dépendent pas seulement de stimuli extérieurs.
Chacune de nos expériences crée des liens avec ce que nous avons précédemment perçu de la réalité extérieure et se modifie en conséquence. La réponse du comportement d’un enfant n’est pas seulement due à une réalité extérieure à laquelle nous réagissons, mais elle est aussi produite par la trace réactivée. Il existe une association inconsciente entre ce que nous impose le réel et ce que nous projetons sur lui pour le comprendre. Tout apprentissage constitue une intrication complexe entre une connaissance et une compréhension de nature idiosyncratique.
L’enfant vient dans l’inachèvement. Sa vie dépendra de plusieurs entités, de la sienne, des autres et de l’environnement, qui modifieront la modulation de l’expression de ses gènes. Rien n’est jamais déterminé pour personne. Chacun de nous durant sa vie modifiera son architecture cérébrale par le seul fait d’être en relation avec le monde. Mais combien d’enfants savent cela ? Combien apprendront que l’intelligence se construit tous les jours de la vie ? Albert Jacquard disait que l’intelligence n’est pas ce que l’on reçoit, mais ce que l’on construit.
Tout ne se résume pas à la plasticité cérébrale. D’autres travaux sont indispensables pour penser des conditions plus favorables à l’apprentissage. Ils s’appuient principalement sur l’imagerie cérébrale. Ils évoluent de manière pluridisciplinaire.
Fonctionnement de la mémoire
Nous avons beaucoup de mémoires différentes qui coexistent et qui travaillent ensemble. Nous mobilisons sans cesse notre mémoire de travail – celle que vous utilisez actuellement pour comprendre et pour donner du sens à ce que je dis. Il s’agit d’une mémoire on line. Elle maintient de façon temporaire un certain nombre d’informations, traitées de façon ininterrompue. Ces informations sont donc encodées, conservées sur une durée courte, le temps de comprendre ce qui suivra. Il s’agit d’un espace de travail qui main- tient, manipule et transforme l’information sur des durées brèves. Elle nécessite la mobilisation de l’attention. Il faut sans cesse s’interroger sur ce qu’il y a à comprendre. Cette donnée doit nous être précisée, surtout si nous ne sommes pas experts des informations à traiter.
La mémoire de travail n’est donc pas efficiente à l’identique chez tous les individus. Elle dépend de la quantité et de la qualité des mots dont dispose notre lexique mental sur un sujet donné. Si le sens m’est étranger, ma mémoire sera beaucoup moins efficiente que si je comprends. Les informations glissent dans la mémoire à long terme. Notre mémoire de travail évolue donc en continu. Son évolution est liée au développement du cerveau ; c’est à quinze ans environ qu’elle devient mature.
Le système attentionnel, l’inhibition cognitive
La connaissance du système neural nous apprend que seules quelques informations parmi les milliards de données que nous recevons arriveront à notre conscience. Notre système attentionnel filtre environ 80 % de la totalité des informations reçues afin de traiter efficacement celles qui sont sélectionnées. Il élimine la perception des battements du cœur par exemple, de même que la sensation d’une étiquette dans le dos, etc. L’attention est un processus qui traite en priorité certaines informations gérées par nos filtres attentionnels au détriment des autres. Il est totalement impossible de traiter toutes les informations qui arrivent à nos sens. De plus, il élimine les informations au fur et à mesure qu’elles sont traitées.
Le cerveau subit en outre des captures attentionnelles extérieures non-conscientes ou conscientes qui gênent le traitement des informations : les écrans publicitaires, les pop-ups, les alertes… Ces intrusions intempestives saturent nos réseaux de neurones et génèrent une grande fatigue cognitive, car le cerveau prend l’habitude de répondre à ces sollicitations, voire de stopper son raisonnement en intégrant des informations intrusives non-pertinentes qui seront traitées comme des informations pertinentes. Il peut même se conditionner à attendre ces stimuli, d’où l’absolue nécessité d’une éducation au numérique. Notre capacité à orienter nos sollicitations attentionnelles et notre esprit critique sont en jeu par conséquent. Pour cette raison, des chercheurs sur le système intentionnel dénoncent les dangers de l’« infobésité » dans le cas des systèmes éducatifs. L’attention se construit durant toute l’enfance jusqu’à la fin de l’adolescence. Les lobes frontaux, où se situe la maîtrise de l’attention, arrivent seulement à maturité à l’âge de 25 ans
La biorythmicité
Nos processus biologiques reposent sur des rythmes circadiens, infradiens ou ultradiens. L’une des hormones impliquée dans la croissance et le développement est libérée unique- ment pendant le sommeil. Celui-ci est important tout au long de la vie, car il favorise plu- sieurs fonctions, notamment par rapport à l’équilibre pondéral et nutritionnel. La recherche montre en effet un lien évident entre le surpoids et le manque de sommeil. C’est également pendant le sommeil que le cerveau élimine les informations qui ne lui sont pas utiles. Il éva- cue les déchets, les toxines et résidus qui peuvent le ralentir. Le sommeil influence considé- rablement l’entretien des défenses immunitaires en outre.
Le sommeil est étroitement lié aux fonctions cognitives, notamment à la mémoire. Les mécanismes de mémorisation et d’oubli dépendent fortement de la durée du sommeil. Pour un enfant, elle équivaut idéalement à six cycles d’une heure et demi. Le sommeil réduit également l’anxiété, stabilise l’humeur, répare le stress psychoaffectif, réduit les sensations de douleurs, induit l’attention à l’état d’éveil et facilite la motivation de ce fait. Pour ces rai- sons, il suscite et soutient le développement de l’intelligence.
La motivation est souvent liée à un facteur psychologique, mais elle l’est surtout à un facteur biologique et neurologique, dépendant du circuit universel de la récompense et donc du plaisir. Ce circuit correspond à un réseau de neurones dont l’activité est au cœur de la motivation. Lorsque nous comblons un besoin physique ou psychique, nous libérons de la dopamine qui entraîne une sensation de plaisir, ce qui nous incite à reproduire le com- portement qui l’a déclenchée. Des circuits cérébraux sont capables d’anticiper et d’attribuer des valeurs subjectives aux choses – plutôt agréable / plutôt désagréable. Ils déclenchent ainsi des comportements de motivation ; la valeur anticipée d’une récompense nous incite à produire l’effort nécessaire pour l’obtenir. Les récompenses espérées et reçues engagent les mêmes circuits neuronaux. La dopamine oriente donc nos choix. Les activités d’appren- tissage favorisant la libération de la dopamine augmentent la mémorisation et l’attention. La note n’est pas nécessairement une récompense. Un enfant qui ne se croit pas compétent aura du mal à se projeter vers l’idée qu’il obtiendra une bonne note. Cette anticipation négative peut se traduire par une absence de motivation.
Certains enfants ont accumulé des expériences négatives de longue date, les ayant menés hors des circuits de récompense et hors de toute motivation. Dans le meilleur des cas, ces enfants se mettront en situation d’évitement pour ne pas être soumis à la sensation désagréable. Trouver la motivation nécessite d’avoir la preuve suffisante de sa compétence. Il faut y arriver pour se motiver, et non l’inverse.
Les meilleures conditions d’apprentissage au regard des travaux de recherche
J’ai été une élève « décrocheuse », ayant quitté tôt le système scolaire puis l’ayant repris à reculons… c’est pourtant dans ce milieu qui m’a été hostile que j’ai décidé d’exercer mon métier. Je me suis longtemps demandé quelles phrases j’aurais voulu entendre, ou de quel accompagnement j’aurais souhaité bénéficier pour rester à l’école. Les enseignants ne com- prenaient pas que je voulais comprendre. Je n’acceptais pas le fait que le lycée général me soit interdit, et de ne pas avoir accès aux mêmes informations que les autres. J’aurais aimé que l’on m’apprenne que je pouvais apprendre à penser et à apprendre au-delà de mes propres perceptions. Un fossé séparait mes référents endogènes et les référents de l’école, mais je ne pouvais pas le savoir. J’avais simplement le sentiment que je ne maîtrisais pas ce qui était nécessaire pour apprendre.
Nous avons évoqué plus haut le rôle des émotions dans les apprentissages, lesquels peuvent être favorisés ou empêchés selon que le cerveau les vit de manière agréable ou désagréable.
La métacognition est définie par Françoise Rénal comme « l’analyse de son propre fonctionnement intellectuel qui permet à l’élève de réfléchir à la tâche qu’il doit accomplir, d’évaluer ses propres ressources pour cette tâche et d’en évaluer la pertinence après l’avoir accomplie ». Un feedback positif pousse à aller plus loin, tandis qu’un feedback négatif peut démotiver, voire même empêcher l’engagement dans la tâche.
Lorsqu’un élève doit acquérir une connaissance, il se positionne dans une attitude prospective : plus il sait qu’il sait, plus il se mettra au travail ; plus il sait qu’il ne sait pas, plus il évitera le travail. Il ne peut s’engager dans une tâche que s’il est en mesure d’évaluer sa réponse, c’est-à-dire de faire la différence entre ce qu’il a produit et ce qui était attendu. La reconnaissance de la différence entre la production et la réponse est fondamentale par rapport à l’apprentissage.
Chaque réponse donnée est toujours déterminée sur la base de ses propres croyances. Tout repose sur le statut de l’erreur dans la démarche d’apprentissage. Si l’élève commet une erreur et qu’il a la possibilité d’en prendre conscience sans être sanctionné, il a alors l’opportunité de modifier ses prédictions futures. Mais notre école favorise davantage le résultat que le processus. François Dubet évoquait à cet égard la « cruauté du mérite ».
La métacognition engage à la fois la compétence et la connaissance. La compétence s’ap- puie sur la stratégie qui conduit à la compréhension de la connaissance. Les neurosciences permettent aujourd’hui d’aller plus loin : avec elles, la compétence constitue l’enjeu de la for- mation des élèves par eux-mêmes. De nombreux établissements dans le monde mettent en place des programmes de formation en neuroscience pour les élèves sur le fonctionnement et le développement de leurs cerveaux. Ces programmes concernent le système cognitif dans son ensemble mais se décline aussi en connaissances sur la mémoire, l’attention, l’inhibition cognitive, la gestion de l’impulsivité de la réponse, sur les émotions…
Une étude américaine s’est intéressée aux résultats d’un programme relatif à la verbalisation et à la reconnaissance des émotions en classe pour mieux apprendre. Elle porte sur 100 000 élèves de la maternelle au lycée, aux États-Unis et en Europe. Les résultats sont plutôt positifs. Ils démontrent une plus grande réussite chez les élèves ayant suivi ce pro- gramme, quel que soit leur origine ethnique ou sociale – d’où l’importance de mettre en mots ses émotions.
Les textes officiels soulignent l’importance pour les enseignants de connaître les élèves et les processus d’apprentissage. Il est indiqué dans le Bulletin officiel du 23 avril 2015 de l’Éducation nationale : « pour acquérir des connaissances, il met en œuvre les capacités essentielles que sont la curiosité, l’attention, la mémorisation, la mobilisation de ressources, la concentration, l’aptitude à l’échange et au questionnement, le respect des consignes, la gestion de l’effort ». Pierre Bourdieu disait quant à lui dès 1964 : « le professeur de Lettres n’est en droit d’attendre la virtuosité verbale et rhétorique (…) qu’à la condition qu’il tienne cette vertu pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une aptitude susceptible d’être acquise par l’exercice et qu’il s’impose de fournir à tous les moyens de l’acquérir ». Comment construisons-nous la curiosité, la mémoire, la motivation ? Comment les élèves pourraient-ils le savoir ? Combien d’élèves savent que leur système cognitif est une entité malléable, dépendant pour beau- coup de la connaissance qu’ils ont d’eux même ?
Le bien-être est nourri pour chacun d’entre nous par la connaissance que nous avons de nous-mêmes et de notre environnement, car celle-ci permet de gérer le sentiment désagréable de l’absence de maîtrise. Si cette connaissance ou du moins le cheminement vers cette connaissance semblent acquis pour un adulte, ils le sont beaucoup moins dans le domaine scolaire. Le fait de connaître son système cognitif permettrait d’éviter que la connaissance du cerveau se transforme en un champ de compétences et de connaissances réservé aux enseignants ou aux formateurs.
L’enfant a beaucoup à dire sur ce qu’il comprend et sur ce qu’il ne comprend pas. Son apprentissage doit être partagé entre la connaissance elle-même, les techniques d’apprentissage et la compréhension de son système cognitif dans la mesure des possibilités liées à son âge. Tout apprenant est un être unique. Des milliards de cerveaux, des milliards de façon d’apprendre…
Pour résumer, voici les conditions essentielles à l’instauration de meilleures conditions d’apprentissage :
- Mettre les élèves en situation de partage métacognitif : plus l’élève entend et partage avec ses pairs des hypothèses différentes sur la compréhension d’une connaissance, plus il peut faire preuve de plasticité cérébrale et élaborer des hypothèses différentes.
- Organiser pour les élèves en fonction des niveaux d’enseignement un parcours de connaissance neuroscientifique qui répondrait aux exigences du Bulletin officiel citées précédemment. Ce parcours porterait sur la connaissance, la construction de sa propre mémoire, de son système intentionnel, de la motivation, etc.
- Favoriser la prise de conscience de l’écart entre ce que je croyais savoir et ce que j’ai appris de nouveau. L’acquisition de nouvelles connaissances doit être mise en mots et en conscience.
- Favoriser le feedback systématiquement après une phase d’assimilation, dans un environnement favorable à l’erreur.
- Mettre les élèves en situation de défi cognitif pour remplacer la réaction de fuite face à la tâche par une réaction d’excitation et d’envie.
- Développer le sentiment de compétence chez les élèves. C’est en affrontant des tâches complexes avec le soutien nécessaire que les élèves retrouvent le sentiment de compétence.
Terminons par un exemple : face à un enfant ayant des difficultés en mathématiques, Piaget aurait dit : « il manque de logique mathématique ». Vygotski aurait dit : « il manque de besoin de raisonner logiquement », ce qui sous-entend que la tâche de l’enseignant consiste à faire émerger le besoin.
Comment abandonner la première posture pour aller vers l’évidence de la modificabilité cognitive tout au long de la vie ?
Il est important d’aider les élèves à comprendre les causes endogènes de leurs difficultés pour qu’ils puissent les surmonter en faisant de l’erreur un marqueur essentiel de leur réussite. Le fait d’analyser ces erreurs qui participera à la connaissance de son système cognitif et à son évolution. Aucun élève ne doit sortir de l’école en ayant l’impression qu’il n’a rien appris, ou qu’il n’est pas fait pour apprendre. C’est tout son rapport au monde qui en portera l’empreinte, et son rapport à lui-même en sera affecté.