Ludivine Halloy
Institutrice Primaire – Master en Sciences de l’Éducation
Conseillère pédagogique pour les élèves à besoins spécifiques
Depuis toujours, quand on aborde l’inclusion scolaire, deux visions de l’enfant se complètent.
D’une part, il y a la vision paramédicale de l’enfant. Le logopède, l’ergothérapeute, le neu- ropsychologue… pose un constat au moyen d’un bilan à caractère thérapeutique. Celui-ci permet d’exclure ou de confirmer le diagnostic de trouble/de handicap et d’identifier les fonctions neurobiologiques préservées afin de construire une rééducation appropriée. Il aura une vision individualisée de l’enfant car il est son patient.
D’autre part, il y a la vision scolaire de l’enfant. L’enseignant réalise une évaluation diagnostique afin de déterminer les lacunes éventuelles ou de vérifier les prérequis nécessaires à l’acquisition d’une nouvelle compétence. Celle-ci lui permet d’organiser des groupes de niveaux (homogènes ou hétérogènes) et de planifier d’éventuelles séances de remédiation. Il organise ensuite la différenciation pédagogique. Son action est donc collective car l’enfant est un élève.
Nous pourrions synthétiser les deux visions comme suit :
Chacune de ces deux visions présente des avantages et des inconvénients. Toutefois, leur articulation pose des problèmes sur lesquels je m’attarde.
En effet, trop souvent, l’accompagnement paramédical tient compte du trouble de l’enfant mais fait fi du cadre scolaire. Ainsi, dans une dynamique de classe comprenant plus ou moins 20 élèves, il est impossible de mettre en œuvre les (longues) listes d’aménagements individualisés qui sont transmises à l’enseignant.e. Et, parallèlement, l’évaluation diagnostique en classe ne cible que des compétences et ne prend pas en compte les fonctions neurobiologiques altérées. Les aménagements « habituels et collectifs » ne suffisent pas à compenser le trouble. Si ce dernier est « mis de côté », l’enfant souffre car ses difficultés et ses efforts parfois démesurés ne sont pas reconnus.
L’alliance pourrait se trouver dans le concept de « diagnostic orthopédagogique » car il offre une vision plurielle de l’élève. Celui-ci tient compte du contexte scolaire, du trouble mais également de l’environnement, de l’éducation et du comportement du jeune. Grâce à cette vision large, il est plus facile d’identifier les ressources et les difficultés dues (ou pas) au trouble.
Comment poser un diagnostic orthopédagogique quand on n’est pas orthopédagogue ? Faut-il attendre la réforme de la formation initiale ? Faut-il tout miser sur la formation continuée des enseignants ?
Sans être pessimiste, choisir l’une des deux options engendrerait le même type de déresponsabilisation que l’étiquette diagnostique : « Il est dys…, je ne suis pas formé à cela…, ce n’est pas mon métier, etc. »
Pourtant, sans relais en classe, les séances de rééducation ne servent à rien car l’enfant ne peut pas transférer tout seul les outils proposés. Il a besoin que l’enseignant, avec son bagage pédagogique, lui montre comment utiliser les moyens de compensation DANS une dynamique de classe comme en séance individuelle.
Comment réussir cette « politique » de co-responsabilité ?
D’abord, voir l’enfant plutôt que l’élève ou le patient. En effet, nous devons garder à l’es- prit que c’est une être humain en développement que nous accueillons, observons, communiquons.
Ensuite, il est indispensable de partager nos expertises plutôt que de juxtaposer nos visions pédagogiques/thérapeutiques pour et autour de l’enfant. Cette synthèse plus juste augmentera l’efficacité des interventions de chacun vis-à-vis des ressources et des difficultés de l’enfant.
Voici un dispositif en 4 points pour nourrir ce regard pluriel de l’enfant :
- Chacun, dans son domaine de compétences, identifie au moins une ressource et une difficulté.
- Ensemble, une décision est prise pour répondre aux besoins de l’enfant dans la double vison thérapeutique et pédagogique.
- Le cadre de communication est clarifié.
- Un cahier de communication sert de lien entre tous les intervenants et accompagne l’enfant pour renforcer la cohérence des actions menées.
Voici 3 exemples :
Arthur
1. Chacun, dans son domaine de compétences, identifie au moins une ressource et une difficulté:
- Ensemble, une décision est prise pour répondre aux besoins de l’enfant dans la double vison thérapeutique et pédagogique.
- Un système de tutorat sera instauré en classe : Arthur donnera son aide en mathématiques et recevra de l’aide en lecture.
- La logopède axera la rééducation sur le décodage et le titulaire relayera ses outils enclasse.
- Les devoirs seront allégés pour Arthur qui pourra ainsi (à la place) lire une courte histoire à son petit frère de trois ans.
- Le cadre de communication est clarifié.
Des réunions sont planifiées ensemble pour évaluer les actions mises en œuvre.Exemple : Tous les premiers mardis du mois de 15 h 30 à 16 h 30 - Un cahier de communication sert de lien entre tous les intervenants et accompagne l’enfant pour renforcer la cohérence des actions menées.
Sarah
1. Observation pluridisciplinaire
2. Décisions et pistes d’actions
L’ensemble de l’équipe prévoit d’agir à deux niveaux :
- Construire avec Sarah la capacité de prise de conscience des déclencheurs de ses crisesafin de les prévenir.
- Construire avec Sarah des stratégies pour les réguler.
- L’ensemble des acteurs décide d’objectiver les crises de Sarah :
- Combien y a-t-il de crises par semaine ? Quelle est la fréquence ? À quel(s) moment(s)arrivent-elles le plus souvent ? Etc.
Pour y parvenir, le tableau ci-dessous est complété par l’ensemble des personnes concernées.
L’objectif est ici de faire prendre conscience des signes d’appels et des moyens d’apaise- ment qui permettent une meilleure gestion des émotions de Sarah.
Ce tableaux est ensuite transmis au psychologue de Sarah qui les analyse avec elle en séance.
Ce dispositif est utilisé pendant au moins deux mois afin d’avoir le recul nécessaire à la création d’une fiche « procédure » de ce type :
1. Quand je sens que la colère m’envahit :
2. Je préviens mon enseignant au moyen d’une carte Joker ; 3. Je m’isole sur le banc dans le couloir ;
4. Je crie/tape dans le coussin autant que j’en ai besoin ;
5. J’écris dans mon cahier ce qui a provoqué ma colère ;
6. Je reviens en classe quand j’ai retrouvé mon calme.
Cette fiche devra être adaptée au cadre familial pour asseoir la procédure construite.
Tylio
1. Observation pluridisciplinaire
2. Décisions et pistes d’actions
L’ensemble des acteurs pense que Tylio a les capacités de respecter les consignes mais qu’il ne met pas de sens sur celles-ci. Aussi, un dispositif est mis en place afin qu’il y voie un intérêt :
- Titulaire : proposer à Tylio de découvrir les critères de correction du CEB et lui per- mettre de corriger des exemplaires complétés par des élèves dans le cadre d’ateliers de co-développement ;
- Professeur de remédiation ou logopède : constituer avec lui un répertoire de consignes ;
- Parents : à la maison, inventer quelques consignes au départ de son répertoire et deman-der à ses parents si, pour eux, elles sont cohérentes.
Pour les 3 exemples d’enfants :
3. Le cadre de communication entre partenaire est précis, planifié, clair.
4. Un carnet de communication est présent et complété par chacun.e.
Voici donc un modèle très simple d’accompagnement d’un élève qui a un trouble ou un handicap.
Du point de vue scolaire, l’inclusion nécessite un investissement temporel, organisationnel et matériel pour les équipes pédagogiques. Cependant les résultats obtenus en termes de qualité et de satisfaction compensent rapidement ce surcroit de travail.
Du point de vue paramédical, grâce aux dispositifs de compensation construits, les séances de rééducation ont plus de sens et permettent de progresser plus harmonieusement.
L’éducation inclusive, organisée dans une politique de « diagnostic orthopédagogique », profite à chaque acteur : enfant, parent, enseignant et thérapeute. La diversité des savoirs partagés renforce le travail et la personnalité de chacun. De plus, comme le disait Meirieu dans une conférence CANOPE de ce mercredi 17/03/2021 :
« La différenciation repose une double acceptation :
– Le droit d’affirmer sa différence pour chacun(e) ;
– Le droit de rencontrer la différence pour chacun(e).
Cela permet d’accepter l’altérité et d’en découvrir les richesses. »
C’est dans ce contexte que doit s’inscrire l’inclusion scolaire ainsi que toutes nos pratiques.