Stéphane HOEBEN
Consultant indépendant
en Éducation et Ressources Humaines – 28/01/22
Historiquement, en orthographe et en vocabulaire, la pédagogie en place propose l’apprentissage de mots. Aujourd’hui, avec les connaissances et le recul critique, beaucoup d’auteurs privilégient l’apprentissage du vocabulaire et de l’orthographe par des phrases et mieux encore, dans un texte.
Dans cet article, nous n’allons pas dissocier les problématiques de l’apprentissage du vocabulaire (rapport idéel au mot – le sens) et de l’orthographe (rapport matériel au mot – les lettres qui le composent) car les arguments sont proches. Voici quelques raisons qui vous feront comprendre pourquoi modifier cette pratique.
1. Car la présence d’un contexte global favorise la mise en mémoire.
Lorsque les mots sont inclus directement dans des phrases, certaines zones de la mémoire – notamment la mémoire épisodique et la mémoire sémantique – peuvent être activées alors que c’est moins le cas avec une énumération. L’élève a donc une possibilité accrue de mettre en mémoire. D’ailleurs, dans certaines classes, les enseignants font étudier des mots MAIS lors du test font recopier des phrases qui contiennent le(s) mot(s). Cela montre la perception de cet aspect. Malheureusement, en faisant ainsi, les élèves faibles qui ont essayé de mettre en mémoire les mots sont pénalisés par tous les autres mots qui surgissent.
2. Car c’est + motivant.
Lorsque les élèves se trouvent face à un texte ou des phrases inventées en classe, les mots sont « offerts » dans des contextes signifiants. Ainsi, les enfants sont plus motivés car les objets à étudier ont + de sens. (Théorie de Viau) On peut aussi dire que c’est moins ennuyant.
3. Car on communique avec des phrases et non des mots.
L’apprentissage de mots ne correspond pas à la réalité vécue depuis la naissance. En effet, les êtres humains communiquent avec des phrases qui constituent un discours. L’apprentissage dans cette logique corres- pond donc à la réalité. Ainsi, si je me trouve à une fête en Italie, j’ai l’air un peu idiot quand je dis « bicchiere » au comptoir pour avoir un verre. Par contre, si j’ai appris l’expression « Posso avere un bicchiere ? » (Puis-je avoir un verre ?), j’ai une communication correcte. Au niveau de la motivation, on parle de perception d’une instrumentalité.
4. Car les élèves sont imprégnés de connaissances syntaxiques.
Les apports de l’apprentissage Français Langue Étrangère notamment montrent qu’il est judicieux de présenter l’apprentissage d’une langue dans sa complexité afin de nourrir simultanément l’enfant de vocabulaire et de grammaire. En effet, lorsque l’enfant rencontre des phrases, il ne dissocie pas les éléments linguistiques et prend l’habitude d’être attentif aux liens entre les mots. Il approche donc la langue dans sa dimension complexe et on évite ainsi des problèmes de cloisonnement et de transfert. De plus, par rapport aux déterminants qui constituent un savoir déclaratif (à apprendre sans explication), les enfants allophones sont mis directement en contagion.
5. Car on peut beaucoup plus varier les stratégies de mise en mémoire.
À titre d’exemple, également au service de la différenciation, voici 11 stratégies utiles pour mettre en mémoire de l’orthographe. Elles sont issues du manuel OhOh ! Cool l’ortho ! (Atzéo, 2014, pp. 66-67) dont la dynamique d’apprentissage invite les élèves à maitriser 7 ou 8 stratégies à la fin de la scolarité primaire.
S. Stratégies basées sur le SENS.
Je sais que dans cette phrase, le sens de ce mot est «…» et je sais comment ce mot s’écrit lorsqu’il signifie «…».
S1. J’associe l’orthographe du mot à l’image de l’objet, la chose ou la personne.
Exemple :
-
- J’évoque par un lien « dessin » + « mot » « dent »
S2. Je m’appuie sur le sens global de la phrase ou du texte.
Exemple :
-
- Le mot « port » dans un extrait qui parle de « bateaux ».
S3. J’associe l’orthographe du mot à d’autres mots du même contexte.
Exemple :
-
- « Un verre » avec « une tasse », « une fourchette », « une assiette » ou « j’ai soif » ou « ça casse »
S4. Je m’appuie sur des mots qui ont des mêmes traits de famille.
Exemples :
-
- Un son : je sonne – sonore – une sonorité
- Il part : nous partons – vous partez – partir – départ
S5. Je m’appuie sur une situation vécue dans laquelle j’ai rencontré l’orthographe de ce mot.
Exemples :
-
- A la visite médicale, j’ai vu une affiche avec le mot « sang »
- Sur le calendrier, j’ai mémorisé le mot « mai ».
A. Stratégie basée sur l’ANALOGIE.
A1. J’utilise un « C’est comme » avec une expression ou une phrase simple que je connais.
Exemples :
-
- « Se raser » c’est comme « Se laver » ou « Se taire »
- « C’est bien! » donc je peux écrire « C’est joli! »
- « Une tasse de lait » donc je peux écrire « Je bois du lait. »
G. Stratégies basées sur la GRAMMAIRE.
J’utilise des connaissances grammaticales : des savoirs ou des procédures.
G1. J’utilise la classe du mot.
Exemples :
-
- « Je mets la table. », c’est le verbe « mettre »
- « Elles ont froid », c’est le verbe « avoir »
- « Il m’a appelé », ce n’est pas le déterminant « ma », c’est un verbe au passé composé.
G2. J’utilise la classe grammaticale des mots voisins.
Exemples :
-
- « Il m’a appelé », c’est « m’a » car il suit le pronom « il »
- « Il m’a appelé », c’est « m’a » car il est suivi par le participe passé « appelé »
G3. Je teste une variation de temps, de personne, de nombre, de forme de phrase ou de genre.
Exemples :
-
- Je remplace « Elles sont parties » par « Elles étaient parties » ou « Je suis partie »
- Je remplace « mes feuilles » par « ma feuille ».
- Je remplace « C’est un garçon » par « Ce n’est pas un garçon ».
G4. Je m’appuie sur les liens entre les mots : des liens de nombre, de genre ou de personne
Exemples :
-
- « jouent » s’écrit avec -ent car le sujet « ils » est pluriel.
- « perdus » s’écrit avec un « s » car dans la phrase « Perdus dans la forêt, les enfants …», ce sont « les enfants »
G5. Je remplace le mot par un autre qui me donne immédiatement l’orthographe correcte.
Exemples :
-
- « Il est parti vers Namur. » peut se remplacer par « Il est parti pour Namur »,« dans Namur ».
- « J’ai mangé » peut être remplacé par « J’ai couru, j’ai fini… ».
6. Car c’est trop souvent la famille qui apprend à étudier.
Dans certaines classes, les enfants rentrent à la maison avec des listes de mots à étudier chaque semaine sans avoir appris des stratégies de mise en mémoire en classe. En conséquence, d’une part, pour beaucoup de parents, c’est une charge et une source de conflits. D’autre part, c’est une aberration puisqu’il s’agit pour des personnes « sans diplôme pédagogique » de développer des stratégies avec leurs enfants.
À vous de « jouer » !