Stéphane HOEBEN
Consultant indépendant
en Éducation et Ressources Humaines – Août 2023
Chercher à opposer une pédagogie par compétences (dite socio-constructiviste) à une pédagogie d’enseignement explicite, c’est comme comparer un « chat » à un « chou ».
En se référant au triangle de Houssaye, on peut classer les approches pédagogiques en deux grandes catégories : To teach (Apprendre à – Enseigner) et To learn (Apprendre)
I. De quoi parle-t-on ?
Clarifions donc certains termes en partant de définitions :
Ces définitions apportent l’information centrale que l’apprentissage concerne le fonctionnement de l’individu qui reçoit un enseignement, quel que soit sa forme.
Ces définitions apportent l’information centrale que l’enseignement concerne le fonctionnement de l’enseignant pour organiser des situations propices à l’apprentissage et notamment, rendre visible ses objectifs, ses actions et les répercussions sur l’apprenant.
II. Quelques démarches pédagogiques
Dans l’ouvrage « Je différencie » (Hoeben S. & Leroy P-M – 2020 – Éditions Atzéo), les auteurs rappellent qu’une des dimensions de la différenciation consiste à offrir des enseignements selon diverses démarches développées ci-après : la démarche déductive, la démarche inductive, la démarche dialectique et la démarche analogique.
A. La démarche déductive
Il apparaît clairement que le modèle pédagogique (Pédagogies de l’exposé – leçon frontale – ou de l’exercice) dont nous avons hérité, appelé frontal ou transmissif, reposait presque exclusivement en la présentation de règles ou de « synthèses » à mémoriser et à appliquer dans des cas particuliers proposés sous forme d’exercices. Ce qui correspond à une démarche déductive…
Nous ne souhaitons en aucun cas participer à la présentation négative de ce modèle d’enseignement. Le problème ne vient pas de ce modèle, il vient du fait que l’on ne prend pas le temps d’apprendre le « principe » et qu’on ne confronte pas assez son travail au « modèle ». Dans la suite de l’ouvrage, nous présentons une activité développée en pensée déductive.
B. La démarche inductive
Depuis l’introduction du constructivisme et du socio-constructivisme à travers les programmes par compétences, la pensée inductive a fortement modifié les pratiques pédagogiques de certains enseignants. Au lieu de proposer aux enfants une définition ou une règle, ils sont mis en situation de construire une théorie par la généralisation. Cette démarche d’enseignement modifie la gestion de la classe : les cours sont organisés en séquences, les traces dans les cahiers ne sont plus aussi figées et propres, les différences de rythme sont plus visibles.
Trop souvent, la dimension socio-constructiviste de l’apprentissage a subi une forme de « simplification » en l’associant de façon univoque à la pensée inductive (notamment un enseignement par situation problèmes) dans laquelle l’élève construit la synthèse et où l’enseignant ne sait plus ce qu’il peut apporter. Cet amalgame réducteur a nui à la compréhension des mécanismes neuroscientifiques liés à l’apprentissage.
C. La démarche dialectique
Dans une dynamique de construction des connaissances, les apprenants peuvent être mis en situation de comparer des cas particuliers (ou même des règles) pour chercher les différences. En effet, la structuration de la pensée passe par la recherche des particularités inhérentes à chaque objet ! Cette démarche dialectique – développée par Barth B-M. – évite souvent la construction de représentations mentales incomplètes ou abusivement simplistes…
Cela implique que des leçons soient organisées autour de plusieurs concepts pour qu’à la fois les démarches inductives/déductives et dialectiques apportent aux élèves l’occasion de construire des savoirs plus intégrés.
Par exemple construire en même temps :
- l’addition et la soustraction ;
- les concepts de mammifères et d’insectes ;
- les caractéristiques des nombres 8 et 9 ;
- les textes narratifs et informatifs ;
- les phrases et les non-phrases ;
- …
D. La démarche analogique
Enfin, la question du transfert se pose souvent. En effet, beaucoup d’enfants savent utiliser une procédure/un concept dans une situation et ne le réactivent pas dans une autre. Il est intéressant de se questionner sur des séquences qui impliquent une démarche analogique.
Les « bons élèves » utilisent instinctivement cette création de liens entre les activités juxtaposées. Par contre, les enfants dits « en difficultés » ne développent que peu d’analogies spontanément. Certaines familles, sans en être conscientes, favorisent cette démarche mentale par leurs attitudes culturelles. Donc, cette prise de conscience implique pour chaque enseignant de créer des liens dans les matières et entre les disciplines…
Par exemple :
- transposer la découverte d’une structure de texte narratif dans des textes de genres différents ;
- tester une démarche scientifique apprise dans une autre situation ;
- utiliser toutes les représentations du nombre 12 (arbre, schème…) pour 12 000 ou 1,2 ;
- vérifier que ce qui fonctionne sur les nombres entiers fonctionne aussi sur les nombres non entiers (0,2…).
E. D’autres démarches intéressantes : la classe inversée et l’enseignement explicite
On peut également citer la « pédagogie » de la classe inversée. En étant réducteur, il s’agit d’une enseignement frontal sous forme de tuto que l’élève se ré-approprie avec l’aide de l’enseignant et de ses pairs une fois revenu en classe. L’important est donc d’assurer un suivi après la rencontre d’un savoir, d’un concept ou d’une procédure afin de favoriser l’apprentissage.
L’enseignement explicite, quant à lui, est un modèle qui a le vent en poupe, notamment avec la mise en place d’un cursus universitaire à Mons. C’est un modèle très intéressant pour autant qu’il s’insère dans une pédagogie variée et qu’il ne devient pas le « seul » modèle à utiliser. Ce qui le rend particulièrement efficace, c’est que l’enseignant et l’élève sont mis en situation d’expliciter leur métacognition. L’important est donc que l’enseignant soit lui-même conscient de sa métholodologie et des enjeux de l’activité pour parvenir à rendre l’élève conscient de ses apprentissages et des enjeux.
« Il est important que l’enseignant prenne le temps de préparer la leçon. Au cours de cette phase, il doit réfléchir aux résultats d’apprentissage visés, aux activités pédagogiques à réaliser, à la mise en scène des différentes étapes, aux matériels requis, à l’estimation du temps et à l’évaluation des apprentissages. En effet, l’enseignant doit d’abord préciser les objectifs d’apprentissage qu’il poursuit avec les élèves ayant un trouble d’apprentissage: ce qui entraîne une activité de planification à rebours (Tomlinson et McTighe, 2010) qui consiste à déterminer : 1. les résultats escomptés, 2. les preuves d’apprentissage et 3. les activités pédagogiques. Il va de soi que la détermination des objectifs d’apprentissage et des preuves d’apprentissage facilitera l’évaluation des apprentissages des élèves ayant un trouble d’apprentissage.
Lors de la conduite de la leçon, la démarche de l’enseignement explicite, planifiée pour la réalisation des activités pédagogiques, sera adoptée :
- l’enseignant démontrera aux élèves ayant un trouble d’apprentissage ce qu’il faut faire (étape de modelage) ;
- il les accompagnera ensuite au cours d’une activité d’équipe (étape de la pratique guidée ou dirigée) ;
- pour qu’ils soient capables, en bout de course, d’accomplir la tâche seuls (étape de la pratique autonome). »
https://www.taalecole.ca/lenseignement-explicite/
Les propos ci-dessus peuvent également concerner une classe de l’enseignement ordinaire. À notre avis :
- Le temps du modelage s’apparente au modèle déductif.
- La pratique guidée peut s’inscrire dans une démarche déductive, analogique, dialectique… ou autre.
- La pratique autonome, lorsqu’elle est effective, prouve que l’apprentissage est en bonne voie ou a bien eu lieu.
III. En conséquence
Il suffit, en fin de formation ou de conférence, de demander aux participants ce qu’ils retiennent de la journée pour que la variété des réponses soit stupéfiante : chacun a construit des savoirs variés et différents à partir de la même situation. Cela correspond à ce qu’évoque Cèbe & Goigoux par rapport à la compréhension en lecture :
Les démarches pédagogiques développées dans les pages précédentes n’opposent pas le principe de l’apprentissage socio-constructiviste à celui d’une démarche d’enseignement explicite. Elles présentent de modalités d’enseignement sans évoquer les neurosciences ni l’apprentissage.
Il faut donc se montrer prudent car, en effet, chaque personne face à un exposé, un exercice, un modèle, une procédure construit ses savoirs.
Aussi, tout discours présentant l’enseignement explicite, preuves « probantes » à l’appui comme LE modèle efficace en terme de pratique pédagogique, s’avèrerait réducteur et ne pourrait s’inscrire que dans une forme de « nouvelle mode » effaçant d’autres propositions pédagogiques qui, elles, n’ont pas bénéficié de recherche sur leur probable efficacité.
Belle rentrée scolaire à chacune et chacun.